Storytime (+) Craig

La pluie. Il y a trois choses que Margaret déteste plus que tout. Ne pas trouver la note juste quand elle accorde son violon, son thé qui a refroidit entre deux gorgées et courir sous la pluie. L’eau s’infiltre partout, ça donne froid et le lendemain elle va éternuer à en faire tomber les livres de leurs étagères. No way, elle n’allait pas courir dehors. Elle détestait quand le temps se mêlait de son planning, l’empêchant d’aller se défouler une fois la journée de travail terminée. Il y avait toujours la solution de la salle de sport mais c’était tellement d’être dehors et plus enfermée. Margaret regarda alors l’eau coulait le long de la vitrine. Non, il fallait qu’elle aille au sport, elle en avait besoin. Tant pis, ça serait en salle. Elle avait pris une carte d’abonnement pour ces cas d’urgence. Et puis, elle avait mis son sac de sport dans la réserve, ça serait idiot de l’avoir préparé pour rien. La perspective de la salle la motivait beaucoup moins mais elle savait qu’une fois sur son tapis, elle serait trop heureuse pour se soucier de quoique ce soit. L’après midi se termina enfin, elle agrippa son sac et courut alors sous la pluie pour arriver au plus vite à la salle. Margaret avait toujours été sportive, bien qu’elle ait l’âme d’une artiste avant tout. C’était un moyen d’évacuer ce que le violon ne lui permettait pas. Durant sa période anorexique ce n’était pas très évident, elle était souvent fatiguée et ses malaises l’empêchaient de faire ce qu’elle souhaitait. Mais maintenant que tout ça était derrière elle, quel plaisir de courir une heure. Arrivant dans la salle de sport, elle se changea rapidement et se rendit dans la salle des machines. Elle plaça ses écouteurs, la musique l’envahit et s’efforça de suivre le rythme. Un peu lent au début le temps de l’échauffement puis elle était lancée. Faisant abstraction de tout et de tout le monde au point de ne remarquer plus rien, ni personne.

Ca faisait des mois et des mois qu’il souhaitait la revoir. Depuis l’incident du bus où il avait failli périr pour ramener une peluche à un gamin blessé – qui soit dit en passant était la chose la plus inconsciente qu’il ait faite dans toute sa vie – il avait tenté de se renseigner et de percer à jour le mystère qui planait sur l’identité de la jeune femme qui lui avait offert sa main pour le tirer d’affaire. Elle semblait persuadée qu’ils s’étaient rencontrés par le passé et qu’il lui avait même sauvé la vie. Le seul inconvénient, c’est que Craig n’en avait pas le moindre souvenir. Pourtant, une telle femme, il n’aurait pas pu l’oublier. Elle lui restait en mémoire, elle et ses yeux clairs et il avait arpenté toutes les rues de la ville sans jamais tomber sur elle. A croire qu’elle s’était volatilisée ou qu’elle n’était que le malheureux fruit de son imagination. D’ordinaire, il ne s’embarrassait pas outre mesure ; il ne persistait pas. Sauf que là, il s’accrochait, sans savoir vraiment la raison cachée derrière cela. Elle l’intriguait, il voulait avoir la réponse à son énigme. Où l’avait-il croisée auparavant. Craig ne s’arrêtait pourtant pas de vivre, il continuait de mener son train de vie, et par ce temps pluvieux, il s’était rendu à la salle, comme à peu près tous les jours. Alors qu’il s’était mis en tête de courir avant d’attaquer les exercices de musculation, son regard s’était porté sur la silhouette de celle qu’il cherchait depuis tant de temps. Elle avait déjà commencé à courir, mais l’occasion était trop belle, alors il vint à sa rencontre, et appuya sur le bouton stop de la machine pour la tirer de ses songes et de ses rêveries. Tout de suite, sans lui laisser le temps de rouspéter, il lui lança : « Alors, tu n’es pas en train de sauver des vies aujourd’hui ? » Sa question était idiote, mais son sourire prouvait bien qu’il avait volontairement lancé la conversation de cette manière. Au cas où elle soit déséquilibrée pendant l’arrêt de la machine, Craig avait placé son bras derrière elle, histoire de la retenir en cas de problème. Toujours là en cas de pépin, même quand il en était l’origine. Il voulut faire la conversation avant d’annoncer ce pourquoi il l’avait importunée dans sa course : « Je ne savais pas que tu t’entrainais ici, je t’y avais encore jamais vue ! » Mais il valait mieux rentrer tout de suite dans le vif du sujet : « Ca fait longtemps que je suis à ta recherche. » C’était flatteur, mais pour une fois, ce n’était pas pour plaire qu’il mettait en place tout son discours, mais vraiment parce qu’elle avait su capter son attention d’une façon totalement différente des autres femmes.

Courir lui permettait de faire le vide dans sa tête. Il y a à peine dix ans, elle avait de la difficulté à tenir sur ses deux jambes et aujourd’hui, elle coure plus vite que jamais. Les muscles avaient remplacé sa maigreur et elle se sentait bien. Prise dans les élans de la musique, elle ferma les yeux en ajoutant de la vitesse à sa machine. Elle voulait courir plus vite, plus longtemps. Elle sentait son cœur accélérer et les muscles de ses cuisses chauffer. Elle était dans son monde, dans sa bulle ou rien ni personne ne pourrait la déranger. Du moins c’est ce qu’elle croyait en venant dans cette salle de sport. Alors qu’elle ne prêtait guère attention à ce qui l’entoure, elle sentit ses jambes tombaient, le tapis n’avançait plus et elle perdit l’équilibre. Elle ouvrit soudainement les yeux, se rattrapant à la machine le plus vite qu’elle put, lâchant un cri aiguë bien féminin. Une main dans son dos l’aida à se rattraper et elle tourna alors soudainement vers l’origine de l’arrêt de la machine. Elle était prête à hurler sur le responsable quand elle reconnut alors le pompier. Celui qui l’avait aidé, qui lui avait ouvert les yeux sur son état. Et qu’elle avait retrouvé en rentrant chez elle, dans cet accident de bus. Il ne semblait pas l’avoir reconnu sur le moment mais elle avait été heureuse de lui rendre la pareille. Mais il fallait croire que tout n’avait pas une fin. Elle retira ses écouteurs, essoufflée à force de sentir son cœur s’emballait dans sa poitrine. Cet arrêt d’urgence l’avait bien retourné. « Non je ne sauve pas de vie aujourd’hui par contre, vous allez envoyer quelqu’un à l’hôpital à faire ça. » répondit elle du tac au tac. Il était pompier mais quand même, c’était pas une raison. Sa remarque sur sa présence la fit sourire et elle indiqua la fenêtre du bout du doigt « Il pleut dehors » Ca il devait forcément être au courant mais elle sous-entendait alors qu’elle ne venait que très rarement, dans des cas exceptionnels comme la pluie ou la neige. Mais alors qu’elle allait lui demander ce qu’il lui voulait, elle eut bien vite sa réponse. « Et pourtant vu votre tête de la dernière fois, je suis pas convaincue que vous m’ayez reconnu » Il la recherchait surement depuis l’accident, elle ne le voit pas le chercher depuis son adolescence, sinon il se serait souvenu d’elle. Elle ne devait être personne pour lui mais elle, elle n’a pas pu oublier son visage. Même avec les années, elle s’en souvenait. Elle n’était qu’une parmi tant d’autres quand lui, lui a sauvé la vie. Elle attrapa sa bouteille d’eau et but quelques gorgées avant de reprendre « En tout cas, j’espère que les gens peuvent compter sur vos talents de pompier que sur votre mémoire. » Elle reposa la bouteille et reprit « Pourquoi vous me cherchez sinon ? » Depuis le début, elle tenait au vouvoiement. Peut être à cause de la différence d’âge, du fait qu’il l’est sauvé mais elle ne le voyait pas le tutoyer.

Eteindre la machine brusquement alors qu’elle était en train de courir à une certaine allure n’était certes pas l’idée la plus lumineuse qu’il ait eue. Cependant, il n’avait pas trouvé d’autre moyen d’attirer son attention, et il était bien décidé à ne pas la laisser filer aujourd’hui. Sans même perdre le sourire après la remarque de la jeune femme dont il ignorait toujours le nom, il ne se démonta pas et répliqua, bien fier de lui. « Aucun risque, je maitrise la situation ! Et puis au pire, c’est mon job de transférer les gens à l’hôpital ! » Il pouvait faire rire comme agacer, le tout était de croire qu’il était bien plus drôle que ce que le voulait la situation. Craig appréciait la répartie de la demoiselle, rien que pour cela, elle en devenait encore plus intrigante. Déjà qu’elle était bien mystérieuse…La jeune femme avait l’art et la manière de se faire désirer. Elle venait rarement ici, comme il l’avait présumé. La chance lui avait souri et ce n’est que grâce aux intempéries qu’ils avaient pu se retrouver ici ensemble. Quel curieux hasard. « Une chance qu’il pleuve alors ! » Lui assura-t-il dans un sourire espiègle. Elle mentionnait encore cette pré-rencontre, avant même qu’elle ne le secoure, et cela troublait le trentenaire de la famille Holden qui ne parvenait pas à replonger dans ses souvenirs pour retrouver ce visage pourtant si atypique qui aurait dû le marquer plus que de raison. Plutôt que de passer des heures et des heures à se tenir immobile en train de réfléchir comme n’importe quel idiot, Craig préfère une nouvelle fois, user de la carte humour. « On peut pas être parfait, tu sais ! » Il se tourne en dérision comme il se fat mousser, mais il ne se prend en aucun cas au sérieux. Il essaie juste de décrisper ce visage intrigant qui ne lui évoque toujours rien. A sa petite pique, Holden ne rétorque rien, se contente d’esquisser une moue de mécontentement en fronçant les sourcils. Il est facile de l’attaquer de cette manière, trouve-t-il. Curieuse, elle finit par lui demander pourquoi il la cherche. Ca semble être une évidence pour lui et un non-sens pour elle. Il pose sur elle un regard empli de surprise, et finit par avouer ce pourquoi il est bien content de tomber sur elle aujourd’hui : « Parce que je veux justement savoir en quoi on est quittes. Je ne me souviens pas t’avoir tirée d’affaire. Ca remonte à quand ? » Début de l’interrogatoire. Peut-être sa mémoire se rafraichirait, peut-être lui soufflerait-il une partie de leur rencontre et de cette façon chevaleresque qu’il avait e de lui venir en aide. Il était persuadé que cela remontait à un moment, parce qu’il était convaincu qu’il n’aurait pas oublié une telle femme. Elle était attirante, piquante, tout simplement désirable. Sa mémoire ne pouvait le tromper, à moins que leur rencontre date de ses débuts en tant que pompier. A l’époque, il n’avait pas pris pleinement conscience de son job. Il faisait pompier juste parce que les filles admirent les pompiers. Les choses ont bien changé depuis. Il a même enrôlé son neveu, ce qui prouve qu’il a trouvé des valeurs dans ce bénévolat.